Voici le grand retour d’une chronique parue en 2019, initialement pour annoncer la venue de l’exposition temporaire du même titre. En 2020, alors que le second volet est sur le point de voir le jour au Musée (Histoires d’entreprises – les artisans du savoir-faire, du 7 février au 10 mai 2020), je republie cette chronique pour vous rappeler les changements qui ont marqué l’histoire de Saint-Jean dans le domaine alimentaire.
Commençons d’abord par les boulangers. En effet, au début du 18e siècle, le pain compose 60 à 85 % des aliments consommés quotidiennement. Cela diminue vers 1800 avec l’arrivée de la pomme de terre dans l’alimentation québécoise. Malgré tout, les boulangers de la ville ont persévéré, jusqu’à être dépassés par les grandes chaînes qui, grâce à un volume de production plus élevé, ont pu introduire une variété de produits comme le pain de blé entier ou le pain tranché.
Dans un autre ordre d’idées, plusieurs parmi vous se souviennent sûrement des bouchers qui vendaient leurs produits dans l’édifice de la place du Marché, où se trouve d’ailleurs le Musée du Haut-Richelieu aujourd’hui. Alors qu’auparavant c’est le petit gibier qui est grandement consommé, le porc se taille une place dans les repas vers 1880. Depuis, la conservation de la viande s’est beaucoup améliorée grâce à la réfrigération. Le premier réfrigérateur apparaît à Chicago en 1913, mais il n’est abordable pour la grande majorité qu’après la Deuxième Guerre mondiale. Il va s’en dire que le micro-onde, commercialisé vers 1950, a aussi révolutionné le monde de la cuisine.
Comptoir de viande dans un magasin général, vers 1945
Collection Musée du Haut-Richelieu, 1986.29.2084
Les épiceries ont aussi beaucoup changé. De petits commerces à proximité qui vendaient des produits disponibles au rythme des saisons, les clients visitent désormais des grandes chaînes, des supermarchés, qui offrent des denrées venues de loin, et ce, à l’année. Le vrac laisse sa place au préemballé et au libre-service. La clientèle vient de plus loin pour y magasiner, par conséquent des stationnements sont aménagés. Cela influence grandement le développement de Saint-Jean.
Épicerie Simpson, vers 1930
Collection Musée du Haut-Richelieu, 1986.29.3086Épicerie Lanoue et Frère, vers 1945
Collection Musée du Haut-Richelieu, 1986.29.2986
Le Canada Français, 14 juillet 1949
Le Canada Français, 1er juillet 1937
On remarque également que, dès 1880, le Québec se spécialise dans la production laitière. Des laiteries, dont Granger et Frères, ont su nous offrir les meilleurs produits en prônant très tôt la pasteurisation et en s’adaptant aux changements de l’industrie. En effet, dans l’histoire, nous avons vu passer le contenant de verre, puis l’ensacheuse qui fait les trois sacs individuels, et enfin le contenant en carton. Comme dans bien d’autres cas, les grandes chaînes se sont emparés, à partir des années 1990, des entreprises de la région. Ces marques, québécoises ou canadiennes, sont porteuses de l’héritage de nos laitiers johannais.
Laiterie Granger, 1938
Collection famille Granger
Un secteur plus méconnu est celui des biscuits et des confiseries, considérés comme des produits de luxe à l’époque. Effectivement, il fallait faire chauffer du sucre et de l’eau, et confire les fruits, mais ces derniers sont très dispendieux. La confiserie, consommée pour le plaisir, est donc perçue comme un luxe car elle n’est pas essentielle à l’alimentation.
Le Franco-Canadien, 29 mai 1883
Quant à la consommation d’alcool, elle est influencée par les vagues de colonisation. Au début du peuplement, les Français essaient de faire pousser des vignes, mais ils se heurtent à plusieurs obstacles, dont l’hiver québécois. Avec l’arrivée des Britanniques vers 1760, le thé et les spiritueux sont importés. Dans les années 1920, la Commission des Liqueurs du Québec gère la vente d’alcool durant le régime de tempérance. En 1961, la Régie des alcools la remplace et cette période marque le début des magasins libre-service. La bière se popularise plus tard, et la hausse des revenus de même que l’immigration européenne favorisent finalement la consommation de vin.
En conclusion, soulignons que la religion catholique interdisait aux gens de consommer de la viande près de 150 jours par année. Quelle chance que Saint-Jean soit aux abords d’une rivière où la pêche est si abondante ! Il faut mentionner la prolifique pêche à l’anguille de Thuot & Goyette qui marque l’histoire johannaise. L’anguille, ce serpent des mers, peut être bouillie, rôtie ou fumée et est très nourrissante. C’est grâce aux Premières Nations que cet aliment est entré dans l’alimentation des Johannais et que ces derniers ont appris à si bien l’apprêter.
Pour en découvrir davantage sur ces secteurs et sur leur histoire, procurez-vous le catalogue d’exposition, réalisé en collaboration avec Alain Paquette, en vente à la boutique du Musée. Il dresse également un inventaire des entreprises ayant œuvré dans chacun des secteurs précédemment présentés. Un ouvrage fascinant qui retrace du même coup l’évolution de la ville.