La chronique de ce mois-ci traite de différentes gares du Haut-Richelieu qui sont toutes uniques et représentatives d’une étape importante de l’histoire; l’apogée du réseau ferroviaire.

Voyons la première gare au Canada, la gare du Canadien National située à Saint-Jean-sur-Richelieu, près des rues Frontenac et Jacques-Cartier. Le premier bâtiment, érigé en 1836 par la Champlain & St. Lawrence Railroad, est fait de rondins de bois. Il mesure 40 pieds sur 100 pieds de longueur. Ce n’est qu’en 1891 que la gare est rénovée pour laisser place au bâtiment actuel, en briques. Le Canadien National (CN) prend le contrôle du bâtiment en 1923, succédant au Grand Tronc qui l’avait acheté vers 1904. Avec la création de Via Rails, le CN met de côté ses activités de transport de voyageurs. La gare est abandonnée, puis vendue à la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. Saviez-vous qu’en 1971, cet édifice abrite les débuts de ce qui allait devenir le Musée du Haut-Richelieu ? Aujourd’hui, c’est le bureau d’information touristique qui occupe le bâtiment, alors que le Musée s’est installé sur la place du Marché en 1979. Depuis 1976, la gare est classée lieu historique national du Canada. C’est de cet endroit symbolique que partait, après tout, le premier train du Canada.

Ce premier train reliait Saint-Jean à La Prairie. Vers 1850, on décide de prolonger le chemin de fer vers Rouses Point, aux États-Unis. C’est ainsi qu’on en vient à construire une gare à Saint-Valentin, qu’on appelle alors Stottville. L’arrivée du train permet de développer le territoire. Effectivement, la paroisse de Saint-Valentin est érigée en 1855. Peu de détails subsistent sur l’allure de la gare, sauf par rapport à son emplacement, sur le chemin de la 4e-Ligne.

De Saint-Valentin, le train poursuit sa route jusqu’à Cantic, un secteur de la paroisse de Notre-Dame-du-Mont-Carmel. Le nom Cantic s’impose vers 1879, lorsque la compagnie Canadian Atlantic Railway développe son réseau et installe un pont ferroviaire sur la rivière Richelieu. Le nom est formé à partir de la première syllabe de Canadian et de la fin d’Atlantic. Le Grand Tronc fait construire une gare vers 1904 et contrôle le tracé qui descend vers les États-Unis jusqu’en 1923. Ensuite, le CN récupère la gestion de ce passage et l’abandonne vers 1931. Ce chemin perd de son utilité vers 1959, lorsqu’est inaugurée la voie maritime du Saint-Laurent.

Un autre chemin part alors de la gare de Saint-Jean en direction des États-Unis, mais de l’autre côté de la rivière. Effectivement, vers 1853, la Stanstead, Shefford and Chambly Railroad fait construire un pont qui enjambe le Richelieu à la hauteur du club nautique à Saint-Jean. Après un arrêt à Iberville, le chemin de fer passe par Saint-Alexandre vers le Vermont. Entre 1864 et 1953, Saint-Alexandre connaît donc une véritable effervescence grâce au passage du chemin de fer. Ce trajet était surtout utilisé par la compagnie du Central Vermont Railway. La gare permet d’accueillir de nombreux immigrants, ainsi que beaucoup de marchandises. Ni Sabrevois ni Saint-Sébastien n’étant desservis par le train, les habitants des alentours se regroupent à la gare de Saint-Alexandre pour les livraisons et les communications. On y a effectivement installé un télégraphe et un bureau de poste, en plus d’y livrer les journaux. En 1901, un incendie détruit la majestueuse gare à deux étages. Elle est reconstruite sur un seul étage, avec un petit grenier. Avec la Deuxième Guerre mondiale, le transport par camion prend son envol, ce qui diminue l’importance du train. Le CN abandonne cette ligne en 1955 et démantèle les rails peu de temps après. La gare de Saint-Alexandre est transportée sur le rang Ste-Marie en 1957 et y est toujours.

Une gare de style château

En 1907, le village de Lacolle occupe une position stratégique entre Montréal et les États-Unis. La compagnie Napierville Junction Railroad, rachetée par la Hudson & Delaware Company (H. & D. Co.), installe une voie ferrée reliant Saint-Constant, Napierville et Lacolle à Rouses Point. Ainsi, les lignes du Canadien Pacifique se rendant à Saint-Constant ont elles aussi un accès direct aux États-Unis, en évitant d’emprunter les lignes du CN à Saint-Jean. On ignore en quelle année est précisément construite la première gare de Lacolle, mais on sait qu’elle est remplacée en 1912 par un nouveau bâtiment, contenant une section dédiée aux services de douanes. En 1918, on y annexe une aile en charge du service de l’immigration. C’est dire combien Lacolle devient la porte d’entrée du Canada. Après qu’un incendie ait ravagé les deux bâtiments, une nouvelle gare est construite. C’est le bâtiment qui trône encore au bout de la rue Sainte-Marie de nos jours. La gare est inaugurée en 1930. C’est le colonel I. T. Loree, vice-président de la H. & D. Co., qui opte pour le style château pour la nouvelle gare.

Il faut noter que les seules autres gares construites dans ce style au Québec sont les gares Windsor et Viger à Montréal, de même que la gare du Palais à Québec. Dans le cas de Lacolle, c’est la première fois qu’un architecte travaille sur une gare pour une petite municipalité. Il y a même un architecte paysagiste qui pense les jardins. Cette gare est alors le premier coup d’œil de l’étranger qui pénètre au Canada, c’est dire toute la valeur qu’elle prend. Finalement, comme ailleurs, la fin du transport de voyageurs à Lacolle arrive vers 1991, année où le Canadien Pacifique (CP) achète le réseau de la H. & D. Co. Les rails reliant Lacolle à la gare de Cantic sont démantelés au même moment. Aujourd’hui, c’est la piste cyclable le Sentier du Paysan qui passe sur cette route. La gare, de son côté, est nommée gare ferroviaire patrimoniale par la Commission des lieux historiques du Canada en 1991. Elle est abandonnée depuis, malgré quelques projets de revitalisation.

Le CP a aussi sa gare d’importance à Saint-Jean, sur la rue Foch. Construite en 1887 dans le projet de relier le Canada par voie ferroviaire d’un océan à l’autre, la gare de Saint-Jean a su préserver son charme de l’époque à travers le temps. Elle est agrandie à deux reprises, en 1906 et en 1950, pour finalement doubler sa superficie, mais l’architecture reste en harmonie avec celle d’origine. Le dernier convoi de passagers quitte la gare en 1980. Depuis, la gare a été classée gare ferroviaire patrimoniale en 1995. En 2020, la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu étudie la possibilité de procéder à des rénovations majeures de l’extérieur du bâtiment. Celui-ci est laissé à l’abandon depuis de nombreuses années, dépannant à l’occasion des organismes cherchant un espace où tenir leurs activités quelque temps.

Toutes ces gares montrent comment le Haut-Richelieu a su se démarquer à l’époque où le chemin de fer était roi. La région, tant Saint-Jean que Lacolle et Saint-Alexandre, est devenue un carrefour important entre la métropole montréalaise et les États-Unis. Sachons aujourd’hui préserver nos gares et mettre en valeur tout l’héritage patrimonial qu’elles ont à transmettre.