En septembre 2020, nous soulignons les 75 ans de la fin de cet important conflit international. Le Canada déclarait la guerre à l’Allemagne le 10 septembre 1939. Ayant acquis son indépendance pour gérer sa politique étrangère avec le Statut de Westminster en 1931, il s’agit de la première et unique fois de son histoire que le Canada entre en guerre de sa propre initiative.

La capitulation allemande a lieu le 7 mai 1945, après six années de massacre. La paix est déclarée le lendemain. Or, l’implication du Canada ne s’arrête pas là. Plusieurs de ses combattants se trouvent dans le Pacifique, où la bataille se poursuit contre le Japon. Les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagazaki en août ont raison du pays du soleil levant, qui signe un traité de paix le 2 septembre 1945. La guerre est enfin terminée.

Au total, le Canada fournit 1 086 343 combattants pour défendre la paix et la liberté, dont près de 50 000 femmes. Ce chiffre est immense si on considère que la population canadienne était d’environ 11 millions de personnes à l’époque. Sur toute la force déployée, ce sont 42 042 combattants qui ne sont jamais rentrés à la maison. L’apport de la force canadienne aura été déterminant dans plusieurs affrontements, dont la protection des convois dans ce qu’on appellera la bataille de l’Atlantique, dans la reconquête de la Sicile et le débarquement en Italie, dans celui de Normandie, dans la libération des Pays-Bas et l’invasion de la Rhénanie, entre autres. C’est tout le pays qui a est alors bouleversé par ce conflit, et la région du Haut-Richelieu n’y échappe pas.

Dans le Haut-Richelieu

Saint-Jean et ses alentours sont témoin de cette période charnière de l’histoire contemporaine. Tous les aspects de la vie, tant économique que sociale, s’en trouvent modifiés. De nombreuses usines doivent changer leur chaîne de production pour contribuer à l’effort de guerre. On peut citer la St John’s Textiles et la St John’s Shirt qui reçoivent des commandes pour de l’habillement militaire. Aussi, la Singer modifie une partie de sa production pour faire des munitions et des hélices d’avion. Cet élan de productivité provoque une expansion sans précédent du domaine manufacturier à Saint-Jean. Après la guerre, une période de prospérité s’installe avec la démocratisation de l’automobile et des électroménagers. La Deuxième Guerre mondiale met fin aux troubles causés par la grande dépression dans les usines de Saint-Jean.

Sur le plan social, on observe d’éphémères changements. Les femmes trouvent leur place dans les usines, alors que les hommes sont mobilisés pour aller au front. Certaines mesures, comme l’implantation de garderies dans les milieux de travail, visent à encourager le travail féminin. Les femmes obtiennent, dans cette foulée, le droit de vote au provincial en 1940. Cependant, dès la fin du conflit, certains gains des femmes sont perdus. Par exemple, les garderies dans les usines sont abolies et seules les femmes célibataires peuvent y travailler. 

Certaines associations de femmes de Saint-Jean font également leur part pour l’effort de guerre. On peut penser à l’Ordre des filles de l’Empire (I.O.D.E.) qui mène des campagnes de souscription et envoie des lettres et des biens aux soldats outre-mer. D’autres organisations offrent des formations variées, par exemple sur la manière de mettre le masque à gaz. Elles font un travail non négligeable sur le front domestique pour informer la population et apporter du réconfort aux hommes partis au loin.

Un autre phénomène observable en juillet 1940 est la course aux mariages. Effectivement, avec la Loi sur la mobilisation des ressources nationales, tous les hommes de 18 à 45 ans, valides et sans enfants, veufs ou célibataires, doivent s’enregistrer advenant la conscription (enrôlement obligatoire). Ils ont jusqu’au 14 juillet 1940 pour prendre épouse. On dit que les journées précédentes, à l’église de Saint-Athanase, on mariait un couple aux quinze minutes. Pour les mêmes journées, on comptabilise 31 mariages dans les paroisses Notre-Dame-Auxiliatrice, Saint-Edmond et Iberville.

En 1940, à Saint-Jean et à Iberville, on instaure un comité de protection civile, dirigé par le service de police de chaque ville. Ce comité se prépare surtout à intervenir en cas de raids aériens. Il coordonne les différents services et informe la population sur les façons de se protéger. En 1941, le comité compte 225 membres à Saint-Jean.

La ville joue également un rôle important sur le plan de l’aviation durant la Deuxième Guerre mondiale. À partir de 1941, Saint-Jean est ciblée par le Plan d’entraînement aérien du Commonwealth britannique pour accueillir une école de navigation et un centre de formation pour les bombardiers qui doivent rejoindre les troupes en Europe. Alors que la force aérienne est d’une importance capitale pour le dénouement du conflit, on peut croire que quelques-uns de ces aviateurs sont sûrement passés par Saint-Jean.

Des prisonniers dans la région

Outre l’implication des Johannais sur le front intérieur, soulignons celle des municipalités du Haut-Richelieu. En effet, à la demande du gouvernement britannique, les autorités canadiennes installent des camps de prisonniers de guerre sur son territoire. En tout, on estime à 35 000 le nombre de prisonniers qui ont séjourné au Canada, divisés dans 26 camps. Ces derniers sont désignés par des couleurs selon le niveau de dangerosité de ses occupants. Les camps « Blanc » accueillent des réfugiés politiques, les « Gris » sont pour les individus moyennement dangereux, et les « Noir » sont réservés aux Nazis convaincus.

Le Camp 41 (ou Camp-I) est installé au Fort Lennox en 1940. Les détenus qui y sont amenés portent un uniforme et sont gardés par des vétérans de la Première Guerre mondiale, sur un site cerné de barbelés. Ces mesures de sécurité tombent en juin 1941, quand on réalise qu’il s’agit de réfugiés juifs. Ces derniers s’étaient cachés en Grande-Bretagne au début de la guerre. Le gouvernement britannique ordonne l’internement des étrangers peu de temps après et les envoie au Canada pour éviter de devoir mobiliser des ressources pour les nourrir et les surveiller. Ainsi, le Fort Lennox héberge près de 400 réfugiés de religion juive. Certains finissent par être libérés, avec un certain « parrainage », pour aller travailler dans les fermes des environs. Ceux qui restent au Camp 41 cultive un jardin, font du théâtre, de la musique et des études. Désirant participer à l’effort de guerre, on leur laisse même coudre des filets de camouflage. Il s’agit du dernier camp abritant des réfugiés à fermer ses portes au Canada, et ce, en décembre 1943. Certains des prisonniers décident alors de s’établir dans la région.

Un autre camp d’importance est le Camp 44, situé dans l’Institut Feller à Saint-Blaise. Ce camp, qualifié de « Noir », accueille tout au long de son histoire un total de 1500 prisonniers, dont jusqu’à 700 en même temps. Il ouvre ses portes en juin 1943 et reçoit en majorité des officiers haut gradés de la marine allemande.

Dans ce camp, les prisonniers conservent leur uniforme et les décorations militaires. Ils sont assez bien traités. Ces prisonniers mettent en place une ferme maraichère et animalière pour subvenir à leurs besoins. Sous l’œil vigilant des vétérans, les prisonniers forment un orchestre et donnent des concerts, ils aménagent une piste de course, un court de tennis et entretiennent même une patinoire l’hiver. Ils sont également tenus de suivre 28 heures de cours par semaine, où ils étudient l’anglais, le français, la chimie et les mathématiques. Ils ont également accès à la bibliothèque du collège. Notons la présence, entre octobre 1944 et janvier 1945, du docteur Jacques Ferron, qui prodigue des soins aux malades.

Au-delà des apparences, la vie au Camp 44 n’est pas toujours rose. Les prisonniers sont dociles et s’impliquent dans leurs tâches, mais une fois la nuit tombée, ces officiers haut gradés endoctrinent les autres prisonniers dans le Parti nazi. Ils instaurent d’ailleurs différents comités, à l’insu des gardiens, comme celui de la propagande et un d’évasion. En tout, quatre tunnels sont découverts par les gardiens. Souvent, ces évasions servent de mission de reconnaissance. Les prisonniers se font attrapés et reviennent ainsi faire leur compte-rendu au comité d’évasion du camp, qui utilise un appareil radio artisanal pour transmettre l’information aux autres camps de prisonniers à proximité.

À ce sujet, quelques centaines de prisonniers forment le Harikari Club. Ce dernier prépare, advenant la capitulation de l’Allemagne, une évasion suicidaire de masse, en tuant et détruisant le plus possible sur son passage. Heureusement, les gardiens sont alertés et font avorter le plan. Au petit matin, les 236 membres de l’organisation sont transférés dans un camp de sécurité maximale, « Super Noir », en Alberta. Après leur départ, le camp passe au niveau « Gris ». Le camp 44 ferme ses portes en mai 1946.

Il n’y a pas à dire, la Deuxième Guerre mondiale fut bien présente dans le Haut-Richelieu, même s’il n’est pas le théâtre d’affrontements. De nombreux hommes se sont enrôlés pour défendre les libertés les plus primaires et de nombreuses femmes ont apporté leur force et leur courage à l’effort de guerre. Après ces événements, la face de notre région en a été modifiée pour toujours. N’oublions jamais.