Cette année marque le 50e anniversaire de la crise d’Octobre, qui prenait fin le 28 décembre 1970 avec l’arrestation des membres de la cellule Chénier, dans une maison du chemin du Grand-Pré à Saint-Luc, aujourd’hui L’Acadie. Faisons d’abord un survol des événements.

Le Front de libération du Québec (FLQ) milite pour l’indépendance du Québec. Ce groupe souhaite y parvenir grâce à une lutte armée contre la domination anglophone et capitaliste. Depuis 1963, les felquistes commettent des attentats terroristes, dont la pose de nombreuses bombes, pour s’attaquer aux différents symboles du colonialisme.

Les enlèvements

L’élément déclencheur de la crise est l’enlèvement, par la cellule de Libération, du diplomate britannique James Richard Cross, le 5 octobre 1970. Le groupe qui le détient fait parvenir sept demandes au gouvernement québécois, incluant la libération de nombreux prisonniers politiques et la publication du manifeste du FLQ. Certains médias acceptent d’ailleurs de publier ledit manifeste.

Le 10 octobre, c’est au tour du ministre de l’Immigration et du Travail, Pierre Laporte, d’être enlevé, mais lui, par la cellule Chénier, composée des frères Jacques et Paul Rose, de Francis Simard et de Bernard Lortie. Ils demandent au gouvernement d’accéder aux demandes de la cellule de Libération, sans quoi le ministre sera exécuté. Pierre Laporte, après avoir tenté de s’évader le 16 octobre, est retrouvé mort dans le coffre d’une voiture le lendemain. Il présente des blessures aux poignets à cause de sa tentative d’évasion, mais serait décédé par étranglement. James Cross, de son côté, sera finalement libéré au début du mois de décembre 1970 en échange d’un refuge à Cuba pour les felquistes ayant orchestré son enlèvement. Il n’est pas blessé et retourne chez lui en Grande-Bretagne.

La Loi sur les mesures de guerre

Devant l’inquiétude générale, les Forces armées canadiennes débarquent à Ottawa pour assurer la sécurité des politiciens. Elles viennent également en aide à la police locale. Cela mène, le 16 octobre, à la Loi sur les mesures de guerre qui suspend les libertés civiles, permettant aux forces de l’ordre d’arrêter et de détenir quiconque sans mandat. Les réactions sont encore aujourd’hui très controversées. À ce moment, de nombreuses perquisitions ont lieu au Québec, dont à Saint-Jean-sur-Richelieu. Il y a aussi de nombreux faux appels à la bombe. Peu de perquisitions sont notables, sauf la saisie d’une presse à Sainte-Anne-de-Sabrevois. La base militaire de Saint-Jean-sur-Richelieu est victime, en octobre, d’une tentative de vol par deux felquistes montréalais. Ils voulaient s’emparer d’armes et d’uniformes de l’armée canadienne.

Le refuge du chemin du Grand-Pré

Quelques semaines après le décès de Laporte, Bernard Lortie est arrêté dans un appartement de Montréal, où les trois autres membres de la cellule Chénier se cachent aussi, mais ne sont pas repérés par les policiers. Dès le départ de ces derniers, les felquistes quittent les lieux vers une grange dans la région de Saint-Bonaventure, près de Sorel. Ils auront une autre cachette jusqu’au 24 novembre, moment où un sympathisant, Michel Viger, les escorte dans sa maison sur le chemin du Grand-Pré, à Saint-Luc. Ils déjouent les barrages policiers en se cachant sous des couvertures à l’arrière d’une voiture transportée par une remorqueuse.

Jacques et Paul Rose, de même que Francis Simard, s’affairent à creuser le tunnel de l’extérieur, en pleine nuit, pendant près d’une semaine. Le tunnel, d’une vingtaine de pieds, arrive juste derrière la fournaise, dans le sous-sol. Un bloc de ciment en bloque l’entrée, la rendant presque invisible. D’une hauteur d’à peine quatre pieds, il faut s’accroupir pour s’y faufiler, jusqu’à une petite pièce qui contient de la nourriture, mais où l’eau s’accumule facilement. Alors que l’un d’entre eux monte la garde en tout temps, les autres peuvent occuper la maison. Le tunnel ne sert qu’en cas d’urgence.

La première alerte a lieu le 22 décembre, lors de la première perquisition des policiers sur les lieux. Pour entrer, ils défoncent une vitre à l’arrière. Les lieux sont déserts. M. Viger, locataire de l’endroit, ne s’y trouve pas. Les policiers remarquent tout de même que, curieusement, le compteur d’Hydro-Québec tourne, comme s’il y avait de l’activité électrique à l’intérieur. Cela leur met la puce à l’oreille. Aussi, aucune plainte n’est formulée pour le bris de la fenêtre. Les policiers retournent sur place le lendemain matin, très tôt. Ils arrêtent cette fois Michel Viger. Il sera incarcéré à Montréal quelques jours, puis relâché. Une troisième visite des forces de l’ordre a lieu le soir de Noël, mais le tunnel n’est toujours pas découvert.

C’est le 28 décembre 1970, à 5 h, que les policiers menacent de raser la maison pour trouver les felquistes. Viger avoue finalement aux policiers où se trouvent l’entrée du tunnel, craignant pour la vie de ses compatriotes. Le docteur et écrivain Jacques Ferron est dépêché sur les lieux pour de longues négociations. Les Rose et Francis Simard se rendent finalement et on procède à leur arrestation sans violence.

Viger reçoit une sentence de huit ans d’emprisonnement, tout comme Jacques Rose, pour complicité après le fait. Lortie doit passer vingt ans en prison pour l’enlèvement du ministre Pierre Laporte, et Paul Rose écope d’une peine d’emprisonnement à perpétuité pour le meurtre de l’homme politique. Il sera libéré en 1982.

La Loi sur les mesures de guerre prend fin en avril 1971. Elle a aujourd’hui fait place à la Loi sur les mesures d’urgence et son application est mieux encadrée. La crise d’Octobre a bouleversé l’histoire politique et sociale du Québec.

Il y a désormais 50 ans que cette chasse à l’homme de longue haleine a pris fin dans notre région, laissant derrière elle des traces durables de son passage.